Lé phénomène n'est pas nouveau et il est loin de disparaître.
Dans les « vertisations » toutes récentes de voie ferrée, notons l’exemple de l’ancienne ligne Rosheim ↔ Ottrott, démontée durant l’hiver 2017 – 2018, et ce malgré de nombreuses protestations. Plus au nord, à la frontière entre Moselle et Bas-Rhin, le tronçon de ligne Sarre-Union ↔ Berthelming, fermé à tout trafic depuis 1999, est également menacé d’être transformé en voie verte à court terme.
Phénomène loin d’être nouveau car de nombreuses lignes alsaciennes ont fait les frais de ces transformations : Dannemarie ↔ Pfetterhouse, Lièpvre ↔ Sainte-Marie-aux-Mines, Molsheim ↔ Saverne, d’anciennes sections appartenant aux Mines de Potasse d’Alsace, Ensisheim ↔ Ungersheim… La liste, non exhaustive, pourrait être étendue à l’ensemble du territoire, voire au-delà des frontières. Par exemple, en Belgique, la transformation de voies ferrées désaffectées en voies vertes est intégré au réseau du RAVeL (Réseau Autonome des Voies Lentes).
Pourquoi un tel engouement pour la métamorphose du chemin de fer en chemin de béton ? En France, celle-ci s’inscrit à la suite de la politique de démantèlement du réseau ferré, en particulier à la fin des Trente Glorieuses, dans les années 1960 et 1970. Le choc pétrolier du milieu de la décennie 1970 n’était pas encore survenu… Raison principale à cet engouement : le côté pratique. L’emprise de la voie ferrée est à peu de choses près similaire à celle d’une bande cyclable. Elle traverse souvent des lieux isolés, plus calmes, éloignés des axes routiers parfois surchargés. On lui confère par endroits et par moments un haut potentiel touristique, qu’il reste à confirmer (ou non).
Là où le bât blesse, c’est que le pavillon de la « voie verte » est dressé en permanence par les adversaires du chemin de fer, en particulier lorsqu’un projet de réouverture est sur les rails. Les affrontements au sujet de la réouverture de la ligne Bollwiller ↔ Guebwiller en sont un cas symptomatique. Alors que l’association FloriRail milite depuis plus de 27 ans pour sa réouverture, ses adversaires « argumentent » à coups de « voie verte pour remplacer la voie ferrée ». Mais sur quelle base est posée cette « solution » ? Ses défenseurs prônent un accès aisé vers la gare de Bollwiller. Certes. Mais quid de l’hiver ? Quid des épisodes de pluie et de vent violent ? Quid des périodes de forte chaleur ? Quid des personnes à mobilité réduite ? La liste pourrait s’allonger…
Nous arrivons au cœur du problème : la mise en concurrence.
Prenons un contre-exemple : le tronçon Colmar ↔ Ensisheim. Il y a un peu plus d’un an, la section terminale entre le pont sur la Thur et la gare d’Ensisheim (quelques centaines de mètres) a été transformée en piste cyclable, à la suite d’un déclassement intervenu en 2011. Mais sur les 26 kilomètres séparant Colmar et Ensisheim, faut-il craindre une disparition de la voie au profit d’une coulée d’asphalte ?
Mise au point sur les différents tronçons de la ligne :
Du point kilométrique 0 (gare de Colmar) au PK 4,078 (gare de Colmar-Sud), la ligne est commune à celle de Colmar ↔ Neuf-Brisach. La voie est encore utilisée par les trains de marchandises à destination du port rhénan de Neuf-Brisach. Aucun changement à court terme n’est donc à envisager.
PK 4,078 (gare de Colmar-Sud) au PK 9,262 (gare de Sainte-Croix-en-Plaine). La voie est en grande partie longée par la route départementale 201 (ancienne nationale 422). Une bande cyclable se faufile entre la route et la voie ferrée. Elle se prolonge dans Sainte-Croix-en-Plaine.
PK 9,262 (gare de Sainte-Croix-en-Plaine) au PK 21,525 (gare de Meyenheim). Le cycliste se rend le long d’un des cours d’eau emblématiques de la région : l’Ill. Il y a quelques années, les digues le long du cours d’eau ont été aménagés entre Colmar et Meyenheim (revêtement, bancs, signalétique, promenades thématiques). Cet aménagement permet à la fois de profiter de la proximité de l’Ill et de découvrir le patrimoine, certes discret, mais bien existant des différents villages de la plaine du Rhin.
A noter entre Oberhergheim, Biltzheim et Niederentzen la réalisation d’une piste cyclable début 2018. Cette piste cyclable permet en particulier aux enfants des 3 villages de réaliser un parcours maison ↔ école sans craindre la circulation routière sur la départementale 8 I.
PK 21,525 (gare de Meyenheim) au PK 27,499 (gare d’Ensisheim). Une bande cyclable longe la départementale 201 depuis la sortie de Meyenheim jusqu’à l’entrée d’Ensisheim, traversant par la même occasion le village de Réguisheim. La piste cyclable se termine à 200 mètres de la gare d’Ensisheim, en venant du nord. Il est ensuite possible de prolonger le chemin vers Ungersheim par la voie verte ayant remplacé le tronçon Ensisheim ↔ Ungersheim.
Tout au long du parcours de 27 kilomètres, la piste cyclable longe ou du moins présente un tracé parallèle à celui de la voie ferrée. La transformation de la ligne en voie verte relèverait donc du doublon pur et simple.
Un exemple encore plus frappant existe en Alsace : la ligne Cernay ↔ Sentheim. Exploitée depuis plus de 40 ans par le Train Thur Doller Alsace en tant que ligne touristique, la ligne longe sur une piste cyclable quelques kilomètres avant le terminus de Sentheim. Lors des circulations touristiques du week-end, qui coïncident avec les sorties familiales à vélo. Il n’est donc pas rare de voir de nombreux cyclistes déambuler le long de la voie ferrée, sans que la cohabitation ne pose problème. Nous sommes pourtant dans le cadre de trains à vapeur, dont la fumée aurait bien pu facilement incommoder les locaux !
Les deux exemples ci-dessus montrent, au-delà des arguments concurrentiels, la possibilité de faire des voies ferrées et des pistes cyclables des liaisons complémentaires.
Le cœur du problème est donc le suivant : la mise en concurrence entre le train et les autres moyens de transport. Ce problème ne s’applique pas uniquement aux voies vertes. Il se vérifie notamment avec le transport par bus ou car. On a très souvent tendance à croire que les défenseurs du rail veulent à tout prix évincer le bus, ce qui reste très généralement faux. Le bus a pour but une desserte fine des agglomérations, tandis que le train doit miser sur une rapidité de la desserte. Les objectifs ne sont pas les mêmes.
Cela va de même pour les pistes cyclables, qui ont deux vocations : les petites distances ou le tourisme.
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